Il y a des événements qui jamais ne s’effacent, ou plutôt qui ne devraient jamais s’effacer, de notre mémoire collective. La seconde guerre mondiale, qui embrasa la planète durant plusieurs années, fait partie de ceux-ci. Nous connaissons encore aujourd’hui, pour une large partie de la population, les grandes lignes de cet épisode sanglant, vieux de plus de 70 ans, qui alla bouleverser le cours du XXe siècle et qui posera les premières pierres du monde dans lequel nous vivons.

La ville de Soultz-sous-Forêts a vécu cette guerre comme toute l’Alsace, et ce d’autant plus, qu’elle se situait à proximité de deux lieux stratégiques. A l’Ouest de la commune, les puits de pétrole et la raffinerie de Pechelbronn étaient un moteur économique pour la région et permettaient une richesse énergétique. Au Nord, se situe la ligne Maginot qui témoigne aujourd’hui encore de l’importance de l'arsenal militaire mis en place dans la région. La gare de transbordement de Soultz-sous-Forêts joua un rôle primordial  dans la construction et le ravitaillement du fort de Schoenenbourg via une ligne de chemin de fer militaire dite voie de 60.

La ligne Maginot et le Fort de Schoenenbourg

Soultz_sous_Forets_1937La ligne Maginot est un projet pharaonique soumis au Parlement par le ministre de la guerre André Maginot et voté le 14 janvier 1930. Il s’agit d’un programme prévu sur cinq ans portant sur la construction d’ouvrages défensifs devant protéger les frontières du Nord, de l’Est et des Alpes. Carte de la ligne Maginot. Son coût est à la hauteur du projet. Ce ne sont pas moins de 2,9 milliards de francs de l’époque, soit environ 1,5 milliard d’euros qui sont ainsi débloqués.

C’est un effort considérable pour le pays. La plus grande partie des ouvrages est édifiée entre 1930 et 1935, mais les travaux se poursuivent, dans une moindre mesure, jusqu’en 1940. Le fort de Schoenenbourg est construit entre 1931 et 1935. Pour acheminer les matériaux et matériels nécessaires à la construction d’une part, mais aussi la livraison des rails anti-char, la gare de Soultz-sous-Forêts est utilisée.


En effet, elle se compose :

  • d’un atelier de réparation et de dépôts
  • de deux voies de garage
  • d’une voie de transbordement SNCF/ voie de 60.

Des entreprises de la commune sont plus particulièrement sollicitées pour la construction du fort comme notamment l’entreprise Sturm, au savoir-faire utile pour le transport et montage des cloches de près de 20 tonnes.

Pechelbronn_puits_petroleLe fort de Schoenenbourg  se compose de deux entrées puissamment bétonnées, implantées au cœur de la forêt de Hunspach, à proximité desquelles s'étendent, à une profondeur maximale de 30 mètres sous terre, les installations de vie et de service : casernement, cuisines, infirmerie, centrale électrique, systèmes de ventilation et de filtrage de l'air, ateliers, réserves d'eau et de carburant, etc. A plus de 1000 mètres de ces entrées, se situent les organes de combat, six "blocs" dispersés sur plusieurs hectares, fortement bétonnés et disposés en surface. Les blocs d'infanterie sont reconnaissables, en majorité, à leur façade percée de créneaux de tir pour mitrailleuses et canon anti-char, les blocs d'artillerie sont caractérisés par la présence de tourelles éclipsables, fortement blindées. Un réseau de galeries développé sur près de 3 kilomètres et à une profondeur moyenne de 22 mètres sous la surface du sol relie ces différentes installations entre elles.

Ligne-60_Soultz_sous_Forets

Les galeries principales sont parcourues par un train électrique sur voie de 60 cm. Les blocs d'entrée et de combat sont reliés verticalement par des escaliers et 6 monte-charge de 1 à 5 tonnes. Prévu pour une garnison de 600 hommes environ, le fort fait partie du dispositif de défense mis en place en Alsace du nord avec entre autres le Fort de Hochwald (Drachenbronn), encore utilisé en partie par l’armée de l’air, et par le Fort du Four-à- Chaux (Lembach). Sa mission est d’empêcher toute invasion venant notamment de Wissembourg, grâce à son artillerie.


Le 3 septembre 1939, le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. Commence alors "la drôle de guerre". Drôle parce qu’il ne se passe pas grand-chose sur la ligne Maginot. Il faudra attendre le mois de mai 1940 pour voir les premiers affrontements sévères.

La guerre 1939-1945

Le 1er septembre 1939, l'Allemagne attaque la Pologne. Les communes situées entre l’Allemagne et la ligne Maginot sont évacuées sur le Sud-ouest de la France à l’exception de Soultz-sous-Forêts.
Le 10 mai 1940, l’armée allemande lance une offensive sur le front ouest. Elle décide de passer par la Hollande et la Belgique rompant les traités de neutralité de cette dernière. Entre erreurs de commandement et inadéquation du matériel militaire, les soldats français de 1940, malgré leur engagement, ne peuvent empêcher l’avancée fulgurante des troupes allemandes. En dehors de quelques batailles héroïques, telles que Narvik, Gembloux, La Ferté, Dunkerque, Chasselay ou Saumur, c’est la débâcle sur le front. En quelques semaines, l’armée française capitule et le Maréchal Pétain signe un armistice le 22 juin à Rethondes, dans la Forêt de Compiègne. En parallèle à l’offensive ouest, les allemands traversent la frontière au niveau d’Altenstadt et s’attaquent aux forts d’Alsace du Nord. Dès le 14 mai, le fort de Schoenenbourg est soumis à des tirs d’artillerie. Les allemands ont du mal à avancer en Outre-Forêt mais une percée inattendue oblige, le 22 mai, à évacuer d’urgence la population de Soultz-sous-Forêt par train en terrain mosellan, sur la commune d’Abreschwiller.  Par la suite, pour retarder la progression de l’armée allemande en Alsace, l’armée française procède, à Soultz-sous-Forêts, à la destruction des ponts et passerelles sur le Seltzbach et du carrefour Rue de Seltz- Route de Strasbourg.

Fort de Schoenenbourg après les bombardements 

Fort_Schoenebourg_apres_bombesEn juin, les édifices et les garnisons de la ligne Maginot résistent toujours. Les allemands emploient alors les gros moyens pour essayer de détruire l’ouvrage. Pour cela, dès le 20 juin, ils mettent en œuvre deux escadrilles de Stukas, avions à hélices très maniables, qui permettent des bombardements en piquet d’une redoutable efficacité. Ils lâchent sur le fort des bombes pesant jusqu’à  1.000 kg. On décompte environ 60 bombes de 500 ou 1.000 kg et une centaine de poids plus réduits sur le périmètre de l'ouvrage. Les bombardements par les airs n’apportant pas les résultats escomptés, les allemands renforcent leur puissance de feu sur le terrain dans les jours suivants avec des mortiers et de multiples canons dont la grosse Bertha. Les cadences de tirs sont importantes, de l’ordre d’un coup toutes les 7 minutes. Chaque temps de répit est utilisé par les soldats du fort pour réparer les  destructions les plus sévères et surtout garder toute la portée de feu en état de fonctionnement. Après la signature de l’armistice, l'ouvrage de Schoenenbourg qui a tiré plus de 17.000 obus, bat toujours drapeau français. Cependant, le 1er juillet, sur ordre exprès du haut commandement français, le fort rend les armes.

A partir du 14 juillet, les habitants de Soultz-sous-Forêts reviennent dans la commune. Comme pour la population de l’Outre-Forêt, le retour des habitants s’étale jusqu’à l’automne. L’occupation allemande ou plutôt l’annexion de l’Alsace par les nazis se met alors en place.

L'annexion de l'Alsace par les nazis

Soultz_sous_Forets_1940_Rue_GoringL'Alsace-Lorraine est annexée de facto au troisième Reich nazi le 27 novembre 1940. En effet, les Allemands ne se contentent pas d’occuper la région, ils intègrent  cette partie de la France à leur territoire pour revenir sur les offenses subies lors de la signature du traité de Versailles. L'Alsace est ainsi annexée au pays de Bade pour former le "Gau Baden-Elsaß". Tout un ensemble de mesures se met ensuite en place pour "germaniser" ou plutôt "nazifier" le territoire. La Poste, les Chemins de fer, comme tous les autres services publics, et donc bien entendu la police, passent sous l'autorité allemande. Les populations sont déplacées.

 

Toute personne qui ne correspond pas au profil "alsacien germanique" est expulsée vers le territoire français ou transférée dans des camps.

Soultz_sous_Forets_1940_Rue_HitlerA Soultz-sous-Forêts, les rues sont renommées. La rue des Barons de Fleckenstein devient alors "Adolf Hitler Strasse", la rue du docteur Deutsch "Herrmann Göring Strasse".  Le conseil municipal est dissous. Le maire est maintenu, mais toutes ses compétences sont transférées au Ortsgruppenleiter, responsable politique du comportement de la population et à son état-major, tous membres du parti National Socialiste. Grâce à cette organisation, travail et loisirs, quotidien,… tout  est contrôlé.

Les luttes internes entre membres du parti National Socialiste permettent cependant de jouir d’un calme relatif dans la commune. Le parti se scinde en deux fractions qui utilisent une grande partie de leur énergie à  rendre leur position plus légitime que celle des autres.

Soultz_sous_Forets_Hivers_1943-1944Cependant, les jeunes garçons entre 10 et 18 ans, sont inscrits d’office à la Hitlerjugend, les jeunes femmes au BDM, Bund Deutsche Mädel. Les travailleurs masculins sont automatiquement adhérents du DAF, deutsche Arbeitsfront, syndicat national socialiste, et les ouvrières femmes intègrent le NS Frauenschaft Deutsches Frauenwerk, œuvres féminines. Le 25 août 1942 décrète le service obligatoire qui va conduire à l’incorporation de force de 130.000 alsaciens mosellans dans la Whermacht, ou même la Waffen SS.


Les conditions de vies sont rudes... Les hivers 1943 et 1944 sont particulièrement difficiles. Dans cet environnement totalitaire, marqué par la peur de la dénonciation et du camp de Schirmeck, des familles francophiles tentent de s’opposer au mieux à l’annexion par de multiples actions discrètes.  Elles permettent notamment le transfert de prisonniers de guerre et ont pris l’habitude de se retrouver au Café de la Gare pour communiquer entre elles.

La libération

Soultz_sous_Forets_Rue_barons_Fleckenstein_bombesDès le 18 juin 1940, le Général de Gaulle, par son appel, redonne espoir à toute une partie de la population qui refuse de céder au joug nazi. Une  «armée de l’ombre » se met à agir, à se sacrifier pour un idéal de liberté et pour la République française, s’intégrant à l’ensemble des nations «Alliées», nations de tous les continents qui se sont regroupées  pour lutter et renverser  le régime nazi. La reconquête de la France et de l’Europe est lancée.

Le 06 juin 1944, le débarquement de Normandie constitue le premier acte important de la libération. Le curé Imbs, figure phare de la résistance dans la commune, capte la radio de Londres et transmet l’information à toutes les familles  "résistantes" grâce à un salut alsacien judicieux, qui disait tout autant "bonjour" que "ils arrivent".  L’attente est cependant longue. Il faut attendre le 13 décembre 1944 pour que Soultz-sous-Forêts soit libérée. Les drapeaux français viennent alors fleurir les maisons. Les personnes soupçonnées de collaboration avec les allemands sont arrêtées et transférées à Schirmeck.

Soultz_sous_Forets_Rue_Frohnacker_bombesCependant, le 30 décembre 1944, Hitler lance la contre-offensive "Nordwind". Le même jour à midi pile, heure locale, Soultz subit son premier bombardement qui fait 9 morts parmi les civils.

Le 3 janvier 1945, les Américains commencent leur repli sur les lignes de la Moder vers Haguenau. Dès lors, les habitants de Soultz quittent massivement la localité… Du 7 janvier au 21 janvier, l’armée américaine livre une bataille d’arrière garde, à Hatten et Rittershoffen. Le 22 janvier, Soultz est réoccupée par l’armée allemande (la 25e antzu Grenadier Division) venant de Hohwiller et se dirigeant vers Surbourg. Le 25 février (un dimanche après-midi vers 15 heures), Soultz subit un deuxième bombardement (visant la gare et la voie ferrée) faisant 2 morts civils. Le 15 mars au soir du terrible hiver, les américains lancent l’opération « Undertone » visant à percer les lignes allemandes et à reprendre l’offensive. Le même jour, Soultz connaît un troisième bombardement qui coûte la vie à 5 civils et occasionne énormément de destructions.

Soultz_sous_Forets_soldats_americainsLe 16 mars, des unités de l’armée de De Lattre prennent Oberhoffen-sur-Moder et contraignent les Allemands à la retraite. Le même jour, à la faveur d’un brouillard artificiel et grâce à un pont mobile lancé à travers le canal de décharge de la Moder, l'armée américaine cherche à reprendre le quartier Marxehouse, les combats sont très durs. Mais deux jours plus tard, le 18 mars 1945 vers 10 heures du matin, les premiers éléments de la 14e Division blindée US et des unités de la 36e Division d’infanterie US, venant de Surbourg entrent dans Soultz. La ville est définitivement libérée.

 

L'Armistice et la paix grâce à l'Europe

Cette deuxième et définitive libération ne soulève guerre d’enthousiasme. En ce mois de mars 1945, nous sommes loin des scènes traditionnelles de libération. En effet, elle se déroule dans une cité en partie vidée de ses habitants. La vie ne reprendra que progressivement son cours normal, au fur et à mesure du retour de toute la population.


Et il faut attendre la  signature de l’Armistice, qui met un terme à plus de cinq années de conflit, pour que les habitants réalisent pleinement la fin de la guerre et se laissent aller ensemble à des réjouissances.
Le 8 mai 1945, la France redevenue  elle-même, s'assoit à la table des vainqueurs du nazisme, retrouvant son honneur et sa liberté certes, mais avec un pays à reconstruire.

Soultz-sous-Forêts est une des communes les plus touchées du Bas-Rhin. Il ne reste plus rien au niveau des infrastructures. Ecole, gare, poste, eau, électricité, tout est en ruine et la situation n’est guère meilleure pour les habitations. Les Soultzois se serrent les coudes et surmontent cette épreuve notamment grâce à l’activité de la raffinerie de Pechelbronn.

Cinq ans après l’Armistice, Robert Schuman lors de sa déclaration du 9 mai 1950, pose la première pierre de l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui, une Europe en paix où l’axe et l’unité franco-allemande jouent un rôle majeur. L’Europe, en pleine reconstruction, a un besoin important en énergie. Consolider les liens entre pays européens et pérenniser la paix sont donc deux objectifs essentiels réunis en un seul concept. L’idée est la suivante :  « Le gouvernement français propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune (…). La mise en commun des productions de charbon et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne » (Robert Schuman, déclaration du 9 mai 1950)
« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne » (Robert Schuman, déclaration du 9 mai 1950)
« Par la mise en commun de productions de base et l’institution d’une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l’Allemagne et les pays qui y adhèreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d’une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix » (Robert Schuman, déclaration du 9 mai 1950)


L’Union Européenne est ainsi lancée. La page de la Seconde Guerre Mondiale est tournée. Les témoins vivants de ce conflit se font certes de plus en plus rares mais il est important de garder ces événements dans notre mémoire collective.  Célébrer,  commémorer nos morts lors de l’anniversaire de la libération de Soultz-sous- Forêts ou de l’armistice sont des moments privilégiés pour nous souvenir de ceux qui se sont battus pour la République Française et contre le totalitarisme nazi, ne pas oublier l’horreur de cette guerre et en tirer les enseignements nécessaires pour ne jamais retomber dans les mêmes excès xénophobes, antisémites, racistes, fascistes, …

Soultz_sous_Forets_Monument_Aux_Morts


 

Remerciements :

  • Monsieur Willy Weisslocker, pour la mise à disposition de documents photographiques et la plaquette de l’école élémentaire sur la Libération de Soultz réalisée pour la commémoration des 50 ans de cet anniversaire.
  • Monsieur Jean-Laurent Vonau, ancien Conseiller Général, pour la mise à disposition de son discours lors de la cérémonie du 65e anniversaire de la libération de Soultz-sous-Forêts, rappel historique de cet événement. Et pour son livre "Soultz-sous-Forêts, de la seigneurie au bourg-centre"
  • Monsieur Pierre Mammosser, Maire de Soultz-sous-Forêts, pour la mise à disposition de ses discours lors de la cérémonie du 65e anniversaire de la libération de Soultz-sous-Forêts et lors de la commémoration de l'armistice du 8 mai 1945.
  • Monsieur Grasser, membre bénévole de l'Association des Amis de la Ligne Maginot d'Alsace pour la mise à disposition d’informations sur la ligne Maginot et les voies de chemins de fer de 60, notamment les livres "Chemins de fer militaires à voie de 60, du système Péchot à la Ligne Maginot" de Jean-Bernard Wahl et "L'ensemble fortifié du Hochwald, recueil de souvenirs" de Robert Brice.



Vous pouvez visiter le site web de l'Association des Amis de la Ligne Maginot d'Alsace (A. A. L. M. A.), pour plus d'informations : http://www.lignemaginot.com    


Merci pour votre généreuse contribution.